Du 1er juin au 30 décembre 2024, plongez dans l’univers envoûtant de l’artiste Giandra de Castro, où l’eau devient le pinceau de ses photographies saisissantes. En suivant le parcours d’accès au plan d’eau biotope de Combloux, vous découvrirez une trentaine d’œuvres qui vous convieront à une expérience de contemplation et d’émerveillement. En attendant, partons à la rencontre de l’artiste et découvrons ensemble les secrets de fabrication de cette exposition, gratuite et ouverte à tous.
Giandra de Castro, née au Brésil, a développé sa passion pour l’art en France dès l’âge de 12 ans, s’inspirant notamment des impressionnistes qu’elle découvrit au musée d’Orsay. Son œuvre photographique explore divers courants artistiques, de l’impressionnisme à l’abstrait en passant par le surréalisme. Établie en Haute-Savoie, elle a trouvé un véritable havre spirituel et artistique auprès des lacs, où son travail prend tout son sens. Son talent l’a menée à exposer dans plus de 19 pays à travers le monde.
Vos photographies qui font penser, pour certaines, à des peintures, sont remarquablement sans retouche. Pourquoi avez-vous choisi cette approche et quel défi cela représente-t-il pour vous en tant qu’artiste ?
Je n’ai pas vraiment choisi cette approche, elle s’est imposée à moi. Parce que lorsque l’on observe un plan d’eau, toute la magie est là, dès le départ : les sujets, les teintes, le mouvement de l’eau et son mariage avec la lumière qui confèrent à la photographie des ambiances à la Turner, à la Monet. Tout est dans l’eau : du romantisme allemand, de l’abstraction, du surréalisme, des pastels, des gravures … j’ai étudié la chromie et le tirage d’art aux Gobelins et à l’ENS Louis Lumière afin de respecter au maximum la magie du départ lors du développement numérique des fichiers natifs de l’appareil photo (les RAW). Je respecte les règles imposées dans les concours naturalistes (taux de recadrage, aucun pixel ajouté ou supprimé dans l’image, pas d’altération des teintes, pas de déformations …).
Le plus difficile pour moi est d’aider les observateurs à soulager la tension qui naît, légitimement, lorsque leur cerveau se dit : « ceci n’est pas de la peinture, c’est de la réalité, comment est-ce possible ? ». C’est difficile d’admettre que toute cette magie, toute cette beauté, toute cette féérie pictorialiste est là, à nos pieds, au bord d’un lac sur la rive, sans bateau ni avion ni masque ni tuba, sans artifices de prise de vue ni transformations numériques.
Quand, où et comment ont été faites les œuvres qui seront exposées sur le parcours d’accès au plan d’eau ?
Sur trois lacs : Lac Vert, Lac des Contamines, Lac de Montriond. Entre 2019 et 2024, hormis pause COVID. Ces photographies ont été réalisées en tournant l’appareil vers le bas, vers la surface de l’eau, pour y capter des reflets ou des ornements de glace, ou la matière eau. Sans artifices de prises de vue, sans moteurs ni tuba, en restant juste au bord du lac, sur la berge.
Une fois l’état de contemplation atteint, je cadre, puis je photographie en rafale pour capter les mouvements de l’eau et par la suite sélectionner la meilleure proposition de l’eau. Rester longtemps sur un lieu fixe me permet d’observer les variations de la lumière et de l’angle d’incidence, ainsi que la couverture nuageuse, qui influe sur le niveau d’opacité ou translucidité du reflet.
Combien de temps cela prend de repérer un lieu, de le photographier et de finaliser l’œuvre ?
Je n’ai jamais pris de photographie intéressante avant la quatrième heure de fréquentation d’un lieu. Au début, comme tout le monde, je ne vois que des apparences. Avec la fatigue du regard, les apparitions surviennent, et je me sens vraiment chamane, passeur de mondes. J’ai l’impression que le temps est une clé pour révéler des mondes cachés dans l’ennui, dans l’inaperçu, dans le banal. Je fréquente peu de lacs, mais je les fréquente comme un cercle d’amis proches. C’est cette assiduité qui me permet de recueillir leurs confidences, leurs récits inédits. J’ai fréquenté le lac vert plus de 700 heures, le Lac des Contamines plus de 100 heures, le lac de Montriond plus de 200 heures. Il me faut ensuite un mois pour finaliser la photographie, car l’essentiel du travail par la suite consiste à comparer les photos deux à deux même pour choisir la photographie magique.
Je ne retouche pas les photographies : pas d’ajout ni de suppression d’éléments, recadrage minimal, pas de color grading (création d’ambiances de couleur par le changement des teintes). Le développement du négatif numérique est restreint aux actions et aux proportions autorisées par les concours naturalistes (ex : courbe de tonalités, netteté …)
Comment espérez-vous que les spectateurs réagissent à votre exposition et quel message ou émotion espérez-vous qu’ils emportent avec eux après l’avoir vue ?
J’aime ce moment où un observateur vient me dire : « je ne verrai plus jamais l’eau comme avant », et qu’il me dise « cela me donne envie de revenir au bord d’un lac ». j’aime qu’ils emportent avec eux ce rafraîchissement du regard, cette envie de s’arrêter, de laisser les apparences céder place aux apparitions, à la faveur de la fatigue du regard, véritable ouvroir vers ces mondes cachés dans l’inaperçu.
En tant qu’artiste, comment percevez-vous le rôle de l’eau dans notre vie quotidienne et dans notre conscience collective ?
L’eau est si présente, ou si rare, que l’on passe à côté de sa magie. Nous vivons l’eau en tant qu’élément utile aux économies. Nous côtoyons une eau domestiquée, économique, géopolitique, sociétale. Les photographies sur le thème de l’eau sont généralement des photoreportages sur la sécheresse, les risques naturels, les dangers. C’est l’eau de l’espace quotidien, l’eau de l’espace profane. Mon travail s’inscrit dans l’espace de l’eau sacrée, dans une démarche de reconnexion aux éléments naturels, à l’émerveillement.
Ce verre d’eau qui contient au moins un atome ayant transité par chacun des êtres vivants ayant transité sur cette terre, au moins un atome ayant transité par le cosmos… L’eau qui nous relie, cet organe universel qui relie les espèces, qui relie le vivant à l’écosystème et l’écosystème au cosmos … on se douche avec, on la boit sans y penser…
Y a-t-il des rencontres ou des histoires marquantes qui démontrent l’impact de votre travail sur la sensibilisation aux enjeux de l’eau et de l’environnement ?
Lors des Perspectives de Combloux, j’ai été charmée par la rencontre avec les hydrologues et glaciologues de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (soutenus par le CRNS). Ils m’ont fait part de l’importance de l’art même pour eux, scientifiques, et m’ont invitée à exposer une vingtaine d’œuvre dans leur laboratoire, à Grenoble, et à réaliser des conférences communes sur le thème Art & Sciences.
Votre état préféré de l’eau ?
La transition. C’est dans l’entre-deux que je puise mes photographies les plus intéressantes, les plus abstraites, les plus graphiques, ou les plus évocatrices d’immensité, avec des détails minuscules qui, transfigurés, évoquent l’immensément grand. Entre deux états de l’eau (glacé/neige, glace/eau …), entre deux saisons, entre rêve et réalité, entre véracité et surréalisme, entre photographie et peinture … toutes mes évocations vivent dans l’entre-deux.
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